"Profondément inquiets", les évêques se lancent dans la bataille du projet de loi sur la fin de vie avec des arguments contre l'aide à mourir qu'ils comptent faire valoir auprès des parlementaires plutôt que dans la rue.
Mardi matin, la Conférence des évêques de France (CEF) a ouvert sa traditionnelle assemblée de printemps en votant une déclaration s'opposant clairement au projet de loi, avec un mot d'ordre choc: "ne dévoyons pas la fraternité".
Sur le fond, l'argumentaire est sans surprise : refus de la "mort provoquée", "priorité" aux soins palliatifs... "Toute vie humaine mérite d’être inconditionnellement respectée et accompagnée avec une authentique fraternité", martèlent les évêques.
Mais la rapidité de la déclaration votée à Lourdes, alors que l'assemblée plénière ne se termine que vendredi, donne une mesure de l'inquiétude et de la détermination de l'Eglise.
Il ne s'agit pas d'"un sujet au milieu des autres", a souligné le président de la CEF, Eric de Moulins-Beaufort, dans son discours d'ouverture, pour justifier cette célérité.
Depuis que Emmanuel Macron en a dévoilé les grandes lignes le 10 mars, les responsables de l'Eglise catholique ont à plusieurs reprises critiqué le projet de loi, arguant que le texte ouvre la porte à l'euthanasie et au suicide assisté, et à de possibles dérives.
Autre motif de vigilance : la place des soins palliatifs, jugée en-deçà des attentes, même si le président de la République a promis une stratégie décennale dotée d'un milliard d'euros supplémentaires.
Sur la fin de vie, l'Eglise semble avancer à contre-courant de la société : selon un sondage Ifop-Fiducial pour Sud Radio réalisé après les arbitrages d'Emmanuel Macron, ceux-ci sont approuvés par 82% des personnes interrogées.
"Nous ne prétendons pas faire la loi", a assuré mardi Mgr de Moulins-Beaufort, bien conscient de la place des cultes dans une société sécularisée. Mais, observe-t-il, "nous avons le devoir d'aider nos concitoyens à réaliser dans quelle dynamique ils pourraient se trouver entraînés".
L'une des grandes craintes des religions est que les verrous aujourd'hui posés ne sautent un à un, dans une logique tant sociétale qu'économique.
"Réserves"
Mais comment se faire entendre ? "Ce n'est pas une question qu'on traite sous forme de slogan" car "quand on manifeste avec des slogans, on finit par déformer la beauté du message qu'on porte", a estimé l'évêque de Limoges Pierre-Antoine Bozo, porte-parole de la CEF, lors d'une conférence de presse.
Cela semble écarter la perspective d'une mobilisation du type "mariage pour tous", lorsque les opposants étaient descendus bruyamment dans la rue en 2012-2013. Aujourd'hui les évêques misent plutôt sur la pédagogie et en appellent aux fidèles.
"Il faut que tous les chrétiens s'emparent de ce sujet", a insisté l'évêque de Troyes Alexandre Joly, autre porte-parole de la CEF.
Mais ce n'est qu'une étape car "dans le paysage médiatique d'aujourd’hui, il faut des prises de paroles variées et répétées pour que l'une d’entre elles perce jusqu'à telle personne", a reconnu Mgr de Moulins-Beaufort, qui est plusieurs fois monté au créneau dans les médias ces derniers jours.
Dans cette stratégie, députés et sénateurs occupent une place particulière. "C'est eux qu'il faut convaincre", explique un observateur au sein de l'Eglise, qui juge "le travail long et difficile".
Car sur cette question qui transcende les lignes politiques, les parlementaires sont partagés : une source gouvernementale se dit d'ailleurs "plutôt étonnée par le nombre de personnes disant avoir des réserves sur le texte" au sein de la majorité.
"Les évêques rencontrent les députés, c'est normal" et "sur ce sujet avec une intensité, une ferveur particulière", a expliqué Mgr Joly. "Il est important d'avoir une parole forte" tout en étant "très respectueux de ceux qui discutent la loi".
Quant à Emmanuel Macron, qui a consulté à plusieurs reprises les cultes sur le sujet, "j'espère que le dialogue pourra continuer", a affirmé l'évêque de Troyes.
Le projet de loi, transmis au Conseil d'Etat, sera présenté en conseil des ministres en avril.
La Rédaction (avec AFP)